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INTERVIEW: "le cas d'olivier
ciappa" |
Olivier
Ciappa : Garçon, la suite !
En
deux courts métrages réunis par ses soins sur un
même DVD (Collector et avec un C majuscule !), Olivier Ciappa
témoigne d’un appétit de cinéma dont
on devrait très vite entendre parler à une tout
autre échelle. Fanatique de cinéma, grand amateur
de son numérique DTS, Olivier Ciappa a su unir les diverses
composantes de son champs d'action en un petit tout cinématographique
d'une rare cohérence. Suite à notre première
interview technique, découvrez à présent
un entretien davantage artistique de cette personnalité
marquante et exigeante.
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Propos recueillis par Stéphane Roger (février
2004)
. Photographies: Pierre-Olivier Callède
. Dessins: David Gilson
. [REPRODUCTION INTERDITE]
Commençons par les festivals. Votre nouveau
film « Le Cas d’O » vient juste d’être
projeté. Quel a été l’accueil par le public
et les professionnels après la présentation ?
Olivier Ciappa : Les gens l’ont perçu
comme un ovni. On m’a reproché d’avoir dilapidé
une fortune pour un résultat globalement jugé prétentieux,
alors que « Le Cas d’O » a coûté la somme
dérisoire . Ce que les gens ignorent c’est que le but du
film était « comment réaliser un film qui ait un
maximum de gueule avec un budget ridicule ». Du coup, quand on
voit la 3D, les effets spéciaux, l’étalonnage numérique,
le steadicam dans tous les plans, les cinq cent design sonores, le son
DTS ou encore la création musicale à base de cordes et
de chœurs d’enfants, on se dit que c’est une super
production. C’est vrai que c’est du jamais vu dans le milieu
du court métrage. Mais son budget aussi. Avec l’argent
qu’on avait, on ne pouvait faire qu’une prise par plan.
Inutile de vous dire la panique quand il y avait une erreur. Tout plan
à refaire signifiait qu’il fallait couper dans le scénario.
On a aussi crée de toute pièce un magasin africain et
un immense appartement sur deux étages avec un budget de…
300 euros ! Et j’en suis assez fier parce que personne n’a
vu qu’il s’agissait de décors montés de toutes
pièce.
Revenons à votre premier court métrage qui s’intitule
« Le Fabuleux destin de Perrine Martin ». Il n’est
pas difficile de voir de qui il s’inspire. Qu’aviez-vous
pensé du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain
» ?
J’avais trouvé ça génial. Jean-Pierre
Jeunet est un des rares réalisateurs français à
travailler ses films à tout les niveaux, que ce soit au niveau
de l’esthétique, de la mise en scène ou des effets
spéciaux. Il ne laisse rien au hasard, chacun de ses plans est
conçu dans un objectif d’efficacité maximale, et
je suis fan de tous ses films. Je me rappelle qu’en apprenant
qu’il allait faire « Alien Résurrection » à
Hollywood, j’avais écrit des dizaines de lettres, envoyé
autant de mails et passé d’innombrables coups de fil à
la Fox pour pouvoir assister ne serait-ce qu’à une petite
journée de tournage. Pour tout vous dire, c’est «
La Cité des enfants perdus » qui m’a donné
envie de faire du cinéma. Comme il n’y avait pas beaucoup
de films à Tahiti où je vivais à l’époque,
j’étais même persuadé que l’expression
« cinéma français » ne regroupait que des
œuvres aussi puissantes et spectaculaires que celle-là.
Inutile de vous dire qu’en voyant un peu plus tard un autre film
français « La Soif de l’or » avec Christian
Clavier, j’ai très vite révisé ma définition
du « cinéma français» ! Bref, j’étais
tellement excité à l’idée de découvrir
le nouveau film de « Monsieur Cité des enfants perdus »
que, plusieurs semaines avant la sortie d’« Amélie
Poulain », je surfais comme un fou sur Internet pour en savoir
un maximum avant les autres. Au point que j’ai commencé
à écrire le scénario de « Perrine Martin
» sur la seule foi de la bande-annonce d’« Amélie
Poulain » !

Qu’avez-vous
ressentit au moment de filmer ce qui allait être votre toute première
image de cinéma ?
J’étais partagé entre une excitation et
une peur énormes. Je n’avais aucun doute sur ce que je
voulais montrer ou sur la manière dont j’allais diriger
mes acteurs, mais je me demandais si j’allais être capable
de motiver et de coordonner toute une équipe. Tout le monde avait
dix ou vingt ans de plus que moi, et je craignais qu’on ne pense
: « Qu’est-ce que c’est que ce jeune type qui n’a
jamais fait d’école de cinéma et qui prétend
donner ordres à des professionnels comme nous ? » Résultat,
en arrivant le premier jour sur le plateau, je ne savais même
pas qu’il fallait annoncer « Moteur ! Ça tourne !
Action ! » avant de lancer une scène. Moi, je l’ai
dit dans n’importe quel ordre, et tout le monde s’est bien
marré. Je me rappelle aussi que le premier plan du film était
un long travelling au steadicam qui passait tout près de la maison
de Jean-Pierre Jeunet pour s’arrêter devant un cinéma
de la rue Tholozé, dans le 18ème arrondissement de Paris.
Pour un baptême du feu, j’ai été servi : les
services municipaux coupaient les arbres à la tronçonneuse,
puis des gens ont voulu faire entrer un piano dans la salle du cinéma,
une séance pour enfants se tenait juste à ce moment-là,
d’autres personnes ont ensuite vidé la salle des accessoires
déposés la veille pour une projection privée organisée
par Jean-Pierre Jeunet… On aurait dit un gag à la Chaplin
! Et pendant le premier plan qu’on a enfin réussi à
tourner, un mec s’est mis à hurler un truc du genre : «
Mais qu’est-ce que vous nous emmerdez à venir faire du
cinéma à Paris ! Allez donc tourner en Alsace, personne
n’y va ! »
Combien de temps a duré le tournage du « Fabuleux
destin de Perrine Martin » ?
Cinq jours.
Dans quel état d’esprit avez-vous vécu ces
cinq jours ?
Une fois la machine lancée, j’étais très
calme, pas du tout stressé, à fond dedans. Bizarrement,
c’est quand je n’ai rien à faire que je suis fatigué,
bougon, et que je ne dors pas. Là, j’étais hyperactif,
très sociable, je pétais la forme et je dormais comme
un bébé, ce qui ne m’était pas arrivé
depuis la semaine où j’ai passé le baccalauréat
!
N’y a-t-il pas eu pour vous un conflit entre la «
magie du cinéma » et les difficultés qu’il
faut surmonter pour l’atteindre ?
Au contraire, je trouve monstrueusement stimulant de devoir
se battre pour concrétiser les images qu’on a dans la tête.
J’ai toujours été fasciné par les coulisses
des tournages, la construction des décors, l’accumulation
des détails, le réglage des lumières, la mise au
point des effets spéciaux… Ça me fait même
davantage rêver que les films eux-mêmes ! C’est pour
ça que j’aurais tout donné pour aller sur le plateau
de « Jurassic Park » ou de « La Cité des enfants
perdus ». J’ai eu plus tard le culot de m’incruster
à San Francisco sur le plateau de « Au-delà de nos
rêves » avec Robin Williams, j’ai assisté à
l’édification de la gigantesque bibliothèque d’une
maison perchée sur les nuages, et j’ai trouvé ça
absolument fabuleux.

Est-ce que ce n’est pas un peu étrange de débuter
dans le cinéma en se reposant de A à Z sur le film de
quelqu’un d’autre ?
Oui et non. Comme j’aime beaucoup la difficulté,
j’ai voulu tenter d’intégrer mon monde à moi
dans celui, très marqué, du « Fabuleux destin d’Amélie
Poulain », que tout le monde connaît ou croit connaître.
Le pari, c’était de faire sentir que mes références
très roses, très Disney, très Chantal Goya, n’avaient
rien à voir malgré les apparences avec celles de Jean-Pierre
Jeunet. Par le biais de ce clin d’œil, j’ai l’impression,
presque la certitude, d’avoir davantage posé les bases
de mon univers personnel que dans un scénario complètement
autonome comme celui du « Cas d’O ».
Pourquoi avoir choisi « Le Fabuleux destin d’Amélie
Poulain » pour présenter ce que vous appelez votre «
univers personnel » ?
Parce que je voulais raconter sous forme d’épisodes l’histoire
d’une fille qui tente de reproduire en vain tout ce que font les
héroïnes de cinéma. J’avais déjà
écrit « Perrine au Moulin Rouge », « Perrine
attaque les clones » ou encore « Le Journal de Perrine Martin
», et je pensais que le film de Jeunet serait idéal pour
commencer une série, dans la mesure où il disposait d’un
narrateur qui présentait une fois pour toutes le personnage.
L’ennui, c’est que mon projet est arrivé au moments
des problèmes avec Canal +, et j’ai dû me contenter
du premier chapitre.
Votre
film donc une parodie de celui de Jean-Pierre Jeunet…
Je dirais plutôt un prolongement ou une interprétation.
Pour moi, « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain »
raconte l’histoire d’une fille complètement paumée
qui se fabrique une existence parallèle pour éviter d’affronter
ses problèmes à elle. Et si elle fait le bien autour d’elle,
ce n’est pas pour aider les autres ou parce qu’elle est
généreuse, mais pour se donner une belle image d’elle-même
et se faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Son
principal mobile, c’est de se rendre importante et indispensable
à ses propres yeux. Dans ce sens, elle est très égoïste,
très orgueilleuse et, je le répète, complètement
paumée. Elle est incapable de s’assumer quand elle est
amoureuse, et au lieu de faire le premier pas comme tout le monde, elle
invente des tas de jeux de piste pathétiques et ultra compliqués
pour arriver à ses fins.
En
disant ça, vous prenez le contre-pied de huit millions de spectateurs
qui sont sortis des salles le cœur gonflé par la légèreté
et l’optimisme du film.
Je sais bien. Cette perception très « premier
degré » m’a profondément choqué, voire
énervé. « Le Fabuleux destin d’Amélie
Poulain » est à mes yeux un film tout sauf gentil et totalement
dépressif. Quand j’entendais des gens s’exclamer
la bouche en fleur : « Amélie Poulain, c’est moi
! », franchement, je les plaignais. Et quand bien même le
film aurait été « gentil », son message de
bonté universelle n’aurait pas duré bien longtemps.
Durant les trois mois qui ont suivi sa sortie, tout le monde s’est
précipité sur les aveugles pour les aider à traverser
la rue, mais ensuite, c’est l’indifférence naturelle
qui a repris le dessus. C’est donc en réaction contre cette
espèce de mystification collective que j’ai imaginé
« Perrine Martin » : comme une critique non pas d’un
film que j’adore et que je ne tourne jamais en dérision,
mais de la manière dont il a été accueilli et dont
il est devenu un objet de culte à la mode, totalement incompatible
avec ce qui est pour moi son véritable propos.
Si on vous suit bien, votre héroïne n’a donc
aucune vie, et elle n’existe qu’à travers les films
qu’elle voit…
Disons qu’elle existe dans son monde et qu’elle
utilise le cinéma comme prétexte pour oublier son existence
minable de tous les jours.
Que serait Perrine sans le cinéma ?
Sans doute une serveuse qui s’ennuierait à mourir.
Mais je suis sûr qu’elle aurait trouvé d’autres
dérivatifs dans les livres ou les feuilletons télé
pour compenser sa vie privée… de tout, et principalement
d’hommes. En fait, c’est surtout pour ça qu’elle
utilise le cinéma : dès qu’elle voit un beau mec,
elle espère qu’il lui suffira de faire comme dans les films
pour les séduire.
C’est
à dire que ses grandes émotions, ses fantasmes, sa vision
du monde et sa sexualité ne lui sont fournies que par le cinéma…
Exactement. Elle représente les secteurs du «
Fabuleux destin d’Amélie Poulain ».
Vous
avez contacté Jean-Pierre Jeunet pour lui demander l’autorisation
de détourner le titre et certaines séquences de son film
?
Je me suis renseigné : à partir du moment où
des emprunts sont effectués sous l’angle de l’humour,
la notion de plagiat n’entre pas en ligne de compte et il est
inutile d’obtenir des autorisations. Si j’avais voulu raconter
l’histoire d’une fille qui fait le bien autour d’elle,
là, oui, j’aurais dû prendre des précautions.
Mais à partir du moment où mon scénario parle d’une
fille qui sort du « Fabuleux d’Amélie Poulain »
et décide de refaire ce qu’elle a vu dans le film, le contexte
n’est plus celui du film original.
Jean-Pierre Jeunet a-t-il vu « Le Fabuleux destin
de Perrine Martin » ?
J’ai essayé par tous les moyens de le rencontrer
pour lui dire à quel point je l’admirais : je lui ai envoyé
plein de lettres, j’avais même dégotté le
code de la porte de son immeuble parisien, on lui a téléphoné
par l’intermédiaire de la boîte de production…
Mais il a très mal réagi. Il a répondu qu’on
ne cherchait qu’à obtenir son aval. Obstiné comme
je suis, j’ai tenté de lui parler lors de l’avant-première
officielle d’« Arrête-moi si tu peux », mais
il m’a envoyé bouler en me traitant d’opportuniste
qui voulait surfer sur la vague d’un succès qui avait attiré
des millions de spectateurs. Ça m’a fait beaucoup de peine,
mais je me suis dit que ça se passera peut-être mieux plus
tard, quand j’aurai fait mes preuves et quand il aura effacé
de sa mémoire l’image d’« opportuniste »
qu’il a eue de moi. Je comprends sa réaction à mon
égard, je ne lui en veux pas du tout, j’admire l’artiste
qu’il est, mais je regrette qu’il m’ait assimilé
à tous ceux qui, du « Fabuleux destin de… »
sur France 3 aux « Fabuleux jardins de la Mairie de Paris »,
ont effectivement profité de son film en toute connaissance de
cause. J’espère lui prouver un jour que je suis autre chose
que ce qu’il pense.
Si
vous aviez une seule chose à lui demander, qu’est-ce que
ce serait ?
Savoir comment il dirige ses comédiens, comment il arrive
à les rendre meilleurs chez lui que chez les autres. Ça
me fascine.
Question délicate : votre film aurait-il pu s’intituler
« Le Fabuleux destin d’Olivier Ciappa » ?
Ouh là ! Je n’y avait pas pensé. Bon, allons-y
franco : oui. Dans une certaine mesure, heureusement plus faible, Perrine
Martin, c’est un peu moi. Par exemple, quand je suis dans la rue,
je me crois souvent dans un film. Et j’ai aussi parfois tendance
à transformer la réalité, quitte à me mentir
à moi-même.
Pourquoi la réalité n’est-elle pas votre
copine ?
Parce que j’ai grandi dans un contexte familial extrêmement
violent, avec une mère schizophrène et un père
constamment bourré, ce qui débouchait sur des situations
vraiment très difficiles. Ma grande sœur s’est protégée
en quittant la maison le jour de ses dix huit ans et en se construisant
une famille de substitution, et moi, je me suis complètement
retranché dans le cinéma. Le paradoxe, c’est que
j’ai vécu toutes ces choses relativement difficiles dans
un cadre paradisiaque, puisque nous habitions en Polynésie. D’un
côté, c’était donc l’enfer chez moi,
mais de l’autre, c’était la splendeur naturelle de
Tahiti. Je savais par conséquent qu’une vie meilleure était
possible, et pour en avoir le cœur net, je n’ai rien trouvé
de mieux, de plus sécurisant, de plus réconfortant, que
les films de Walt Disney où tout le monde était beau et
où les familles finissaient toujours par se recomposer. Plus
tard, je me suis ouvert sur un autre cinéma, celui qu’on
qualifie en général d’« évasion »,
où je retrouve aussi bien la beauté pure que des sensations
plus fortes comme dans « Jurassic Park », « Speed
» ou « True Lies », c’est-à-dire des
films avec des héros, des gens qui se battent, qui vivent des
choses incroyables… Bref, qui me sortent de ma réalité.
Que seriez-vous sans le cinéma ?
Rien. Quand j’étais petit, j’étais
complètement autiste, et c’est le Cinéma qui m’a
aidé à sortir de moi-même. Grâce à
lui, j’ai pu trouver la force de me battre et de tenir. Dans un
sens, il m’a sauvé.
Cette dette vis-à-vis du cinéma ne risque-t-elle
pas de vous faire manquer les très belles choses que peut offrir
la réalité ?
Croyez-moi, la réalité de la vie, j’ai
les deux pieds dedans ! Faire des films, gérer mon héritage
familial, devoir se montrer plus adulte que mes parents, trouver de
l’argent pour manger… C’est un combat de tous les
jours. De ce côté là, je suis mieux servi que beaucoup
d’autres, et j’ai le sentiment d’avoir mûri
en vitesse accélérée. Ce n’est d’ailleurs
pas pour rien si on me donne souvent trente ans alors que je n’en
ai que vingt-quatre. Dans ce contexte, j’arrive heureusement à
voir les beautés de la réalité, mais c’est
un fait : jusqu’à présent, j’ai connu davantage
de difficultés que de bonheurs.
Sous
ses dehors roses et un peu kitsch, vous nous avez fait comprendre que
« Le Fabuleux Destin de Perrine Martin » était
en fait un film assez violent dans sa démarche puisqu’il
parle de désespoir. Votre deuxième court métrage,
« Le Cas d’O », se présente comme
un thriller horrifique alors qu’il raconte lui aussi une histoire
qui n’a rien à voir avec son apparence…
C’est vrai. Les paradoxes et les oppositions constituent
une des bases principales de mon cinéma. Le « Cas d’O
» ressemble à un court métrage de genre , un thriller
derrière lequel se dissimule une histoire d’amour en particulier,
et une critique de ce qu’on appelle « les films homos »
en général.

Commençons
par l’histoire d’amour, qui nous oblige à révéler
la « chute » de votre film. Il s’agit d’un garçon
qui met en œuvre un stratagème incroyable pour reconquérir
son ancien amant, un peu comme Amélie Poulain chez Jean-Pierre
Jeunet, qui organise un jeu de piste que vous avez qualifié de
« débile » afin de séduire le beau Nino qu’elle
aime en secret…
Ah !… Euh…Je n’avais pas fait le rapprochement,
mais je suis d’accord à 100%.
En
fonction de vos valeurs, « Le Cas d’O » raconte-t-il
une belle histoire d’amour ?
Dans la mesure où il montre jusqu’où on peut aller
pour récupérer quelqu’un, oui.

En
se projetant dans l’avenir des personnages, pensez-vous qu’Orient,
celui qui s’est fait manipuler, découvrira un jour la vérité
?
Oui, et il sera très heureux, car il aura compris à
quel point Michaël tenait à lui.
Quelle
place occupe votre « univers » dans « Le Cas d’O
» ?
J’en ai projeté des éléments dans
le personnage d’Orient. Sa chambre truffée de références
à Walt Disney est la transposition de la mienne si elle était
plus grande, il porte au dos la réplique de mon propre tatouage
que j’ai au bras, mais ça ne va pas plus loin.
Cette
manipulation amoureuse pourrait-elle être orchestrée au
sein d’un couple homme-femme ?
Bien sûr !
    
Alors
pourquoi avoir choisi deux garçons pour héros ?
Parce que le public a trop l’habitude des comportements
mixtes au cinéma. Dès que les gens voient dans un film
un homme et une femme qui sont devenus amis après avoir formé
un couple, ils savent à tous les coups comment ça va se
terminer. Alors qu’avec deux gays, c’est beaucoup plus rare,
plus imprévu. Du point de vue du suspense et du scénario,
c’était nettement plus intéressant.
Où
intervient la critique des « films homos » que vous avez
mentionnée tout à l’heure ?
Il faut savoir qu’Antiprod, la société
qui me produit depuis mes débuts, est spécialisée
dans le cinéma et les courts métrages gays. C’est
à dire que la sexualité des personnages est au premier
plan. Moi, je n’aime pas trop cette approche communautaire car
on finit parfois par oublier qu’il s’agit d’abord
de cinéma. Est-ce qu’on a déjà entendu dire
que « Les Aventuriers de l’arche perdue » était
un film d’aventures hétérosexuel ? non. C’est
du cinéma, point barre. Alors que chez Antiprod, la sexualité
des personnages constitue la base d’absolument tous les scénarios,
que se soit sur le thème « l’homosexualité,
ce douloureux problème », « je suis amoureux de mon
meilleur ami, mais il est hétéro et je finis par me suicider
», « j’ai le sida » ou encore « il faut
que je fasse mon coming out »… Moi, ça m’horripile
! On est au 21ème siècle, l’homosexualité
est mille fois mieux intégrée qu’avant, et je trouve
anachronique d’en faire l’unique sujet de tout un courant
cinématographique, qui plus est tellement truffé de références
qu’il s’adresse en priorité à un public lui-même
homo. Ça la réduit à un phénomène,
et ça la replonge dans la marginalité de la façon
la plus régressive qui soit.Cependant, c’est un avis très
personnel et je ne prétend pas avoir forcément raison.
En
quoi votre approche est-elle différente ?
Je dis dès le premier plan que les personnages sont
homos, et ensuite, on s’en fiche complètement pour ne s’intéresser
qu’à l’histoire. Ce que j’ai voulu, c’est
rendre ça le plus banal possible. De cette façon, tout
le monde peut s’intéresser à eux, et pas seulement
les spectateurs gays.

Vous
n’aimez aucun film qui ait l’homosexualité pour sujet
?
Si, bien sûr! J’adore « Philadelphia »
et « Juste une Question d’Amour », mais je n’ai
pratiquement jamais vu de personnages gays qui soient autre chose que
l’homo de service comme Rupert Everett dans « Le Mariage
de mon Meilleur Ami », ou encore celui par qui arrivent tous les
malheurs du monde. Les rares films où j’ai vu des gays
dont la sexualité n’est jamais utilisée à
des fins particulières sont « La Fiancée de Chucky
» et « Le Fils préféré ». Dernièrement,
j’ai cru que le jeune homo de « 7 ans de mariage »
échapperait à la malédiction, mais le dernier plan
du film nous le montre seul à crever dans sa chambre de bonne
pourrie.
Dans
ces conditions, pourquoi restez-vous chez eux, et pourquoi vous acceptent-ils
?
Ce qui nous lie, c’est le travail. On a d’excellentes
relations de boulot, il n’y a rien d’affectif dans nos rapports
et, chose essentielle, aucune espèce d’ambiguïté
ne vient parasiter l’ambiance. Je sais que personne à Antiprod
ne pose un regard de convoitise sexuelle sur moi et qu’on m’apprécie
pour le boulot que je fourni, et exclusivement pour ça. Dans
le milieu du show-biz et du cinéma, je vous jure que c’est
exceptionnel. En fait, mon vrai interlocuteur chez Antiprod, c'est Véronique
Lamarche, la directrice de production. C'est avec elle que je communique
toute la journée. Et j'ai l'impression que notre collaboration
évolue de plus en plus. En un an à Antiprod, nous n'avons
eu qu'une seule engueulade et je crois qu'on en est sortis tous les
deux grandis. Le but, c'est que chacun puisse obtenir ce qu'il veut,
sans piétiner sur le travail de l'autre et bizarrement, ça
donne une collaboration souvent très étroite. Si l'un
de nous deux merde, c'est les deux qui coulent. Donc, quels que soit
la politique d'Antiprod, ce qui me lie le plus à eux, je crois
que c'est Véronique. Et puis Véro et Patrick Maurin, se
sont les spécialistes du planning. Quand ils disent que quelque
chose va être fait à telle date, vous pouvez être
sur que ce sera toujours fait au jour dit. Jamais de paroles ou de projets
en l'air. Tout ce qu'ils annoncent, ils le font. Avouez que dans des
conditions pareilles, ça ne donne pas vraiment envie d'aller
voir ailleurs ?
   
Antiprod
ne vous a jamais incité à accentuer l’aspect érotique
du film ?
Avant le tournage, si, un peu. Patrick Maurin, le responsable
éditorial, me tannait pour que j’ajoute des scènes
de nudité, notamment lorsque le héros prend sa douche.
C’est une des figures imposées du cinéma homo tel
que je le déteste : un mec se lave, et on le voit forcément
à poil. Moi, j’ai voulu jouer avec ce cliché en
montrant bien la chute de ses vêtements au fur et à mesure
qu’il les enlève, mais en coupant net au moment où
la caméra remonte sur ses jambes, pile avant l’apparition
des fesses que tout le monde attend. Pour faire une surprise à
Patrick, on a tourné ce fameux plan de fesses afin qu’il
l’utiliser dans le bêtisier. Et sur le tournage, nous avions
qualifié ce plan de « plan surprise Patrick, spécial
Bêtisier » avant même qu’il soit tourné.
Ceci dit, en découvrant le premier montage, Patrick a finalement
compris mes intentions, et c’est lui qui m’a suggéré
d’enlever toutes les allusions qui faisaient comprendre que les
personnages étaient des ex. Il a pensé que ce serait plus
intéressant d’instaurer un doute dans la tête du
public, et j’ai trouvé ça très intelligent
de sa part.

Vous ne lui avez donc fait aucune concession ?
Si, bien sur. Travailler avec un producteur, c’est un
jeu de négociations. Il me cède certaines choses comme
le son numérique DTS et moi, d’autres. Par exemple, il
a tenu à ce que je conserve le cri de terreur que pousse le personnage
de la concierge dans la séquence de la cave. Je n’étais
pas d’accord pour plusieurs raisons : je trouvais l’actrice
mauvaise – d’ailleurs, c’était la vraie concierge
de l’immeuble d’Antiprod -, son cri saturait à l’écoute,
et il durait tellement longtemps qu’il finissait par susciter
le rire au lieu de la peur. Pour ce plan, je me suis incliné.
Mais bon, là, c’est mon interview et j’ai le beau
rôle. S’il était avec nous, il vous ferait le liste
des choses qu’il m’a cédé, et je peux vous
dire qu’elle est beaucoup plus longue.
Le
court métrage est-il pour vous une discipline à part entière,
ou bien une simple carte de visite pour accéder à la catégorie
« reine » qu’est le long ?
Je n’ai pas fait d’école de technique, et
je suis un peu obligé de passer par-là pour me faire les
dents. Quant à l’aspect « carte de visite »,
que ce soit grâce à eux, sans eux ou malgré eux,
la question ne se pose pas : je ferai du cinéma.
COPYRIGHT Stéphane Roger/ Revolusound. Février 2004
Toute forme de reproduction doit être soumise à une autorisation
préalable.
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