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INTERVIEW: "le cas d'olivier ciappa"

Olivier Ciappa : Garçon, la suite !

En deux courts métrages réunis par ses soins sur un même DVD (Collector et avec un C majuscule !), Olivier Ciappa témoigne d’un appétit de cinéma dont on devrait très vite entendre parler à une tout autre échelle. Fanatique de cinéma, grand amateur de son numérique DTS, Olivier Ciappa a su unir les diverses composantes de son champs d'action en un petit tout cinématographique d'une rare cohérence. Suite à notre première interview technique, découvrez à présent un entretien davantage artistique de cette personnalité marquante et exigeante.


Propos recueillis par Stéphane Roger (février 2004)

. Photographies: Pierre-Olivier Callède
. Dessins: David Gilson
. [REPRODUCTION INTERDITE]


Commençons par les festivals. Votre nouveau film « Le Cas d’O » vient juste d’être projeté. Quel a été l’accueil par le public et les professionnels après la présentation ?

Olivier Ciappa : Les gens l’ont perçu comme un ovni. On m’a reproché d’avoir dilapidé une fortune pour un résultat globalement jugé prétentieux, alors que « Le Cas d’O » a coûté la somme dérisoire . Ce que les gens ignorent c’est que le but du film était « comment réaliser un film qui ait un maximum de gueule avec un budget ridicule ». Du coup, quand on voit la 3D, les effets spéciaux, l’étalonnage numérique, le steadicam dans tous les plans, les cinq cent design sonores, le son DTS ou encore la création musicale à base de cordes et de chœurs d’enfants, on se dit que c’est une super production. C’est vrai que c’est du jamais vu dans le milieu du court métrage. Mais son budget aussi. Avec l’argent qu’on avait, on ne pouvait faire qu’une prise par plan. Inutile de vous dire la panique quand il y avait une erreur. Tout plan à refaire signifiait qu’il fallait couper dans le scénario. On a aussi crée de toute pièce un magasin africain et un immense appartement sur deux étages avec un budget de… 300 euros ! Et j’en suis assez fier parce que personne n’a vu qu’il s’agissait de décors montés de toutes pièce.


Revenons à votre premier court métrage qui s’intitule « Le Fabuleux destin de Perrine Martin ». Il n’est pas difficile de voir de qui il s’inspire. Qu’aviez-vous pensé du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain » ?

J’avais trouvé ça génial. Jean-Pierre Jeunet est un des rares réalisateurs français à travailler ses films à tout les niveaux, que ce soit au niveau de l’esthétique, de la mise en scène ou des effets spéciaux. Il ne laisse rien au hasard, chacun de ses plans est conçu dans un objectif d’efficacité maximale, et je suis fan de tous ses films. Je me rappelle qu’en apprenant qu’il allait faire « Alien Résurrection » à Hollywood, j’avais écrit des dizaines de lettres, envoyé autant de mails et passé d’innombrables coups de fil à la Fox pour pouvoir assister ne serait-ce qu’à une petite journée de tournage. Pour tout vous dire, c’est « La Cité des enfants perdus » qui m’a donné envie de faire du cinéma. Comme il n’y avait pas beaucoup de films à Tahiti où je vivais à l’époque, j’étais même persuadé que l’expression « cinéma français » ne regroupait que des œuvres aussi puissantes et spectaculaires que celle-là. Inutile de vous dire qu’en voyant un peu plus tard un autre film français « La Soif de l’or » avec Christian Clavier, j’ai très vite révisé ma définition du « cinéma français» ! Bref, j’étais tellement excité à l’idée de découvrir le nouveau film de « Monsieur Cité des enfants perdus » que, plusieurs semaines avant la sortie d’« Amélie Poulain », je surfais comme un fou sur Internet pour en savoir un maximum avant les autres. Au point que j’ai commencé à écrire le scénario de « Perrine Martin » sur la seule foi de la bande-annonce d’« Amélie Poulain » !

Qu’avez-vous ressentit au moment de filmer ce qui allait être votre toute première image de cinéma ?

J’étais partagé entre une excitation et une peur énormes. Je n’avais aucun doute sur ce que je voulais montrer ou sur la manière dont j’allais diriger mes acteurs, mais je me demandais si j’allais être capable de motiver et de coordonner toute une équipe. Tout le monde avait dix ou vingt ans de plus que moi, et je craignais qu’on ne pense : « Qu’est-ce que c’est que ce jeune type qui n’a jamais fait d’école de cinéma et qui prétend donner ordres à des professionnels comme nous ? » Résultat, en arrivant le premier jour sur le plateau, je ne savais même pas qu’il fallait annoncer « Moteur ! Ça tourne ! Action ! » avant de lancer une scène. Moi, je l’ai dit dans n’importe quel ordre, et tout le monde s’est bien marré. Je me rappelle aussi que le premier plan du film était un long travelling au steadicam qui passait tout près de la maison de Jean-Pierre Jeunet pour s’arrêter devant un cinéma de la rue Tholozé, dans le 18ème arrondissement de Paris. Pour un baptême du feu, j’ai été servi : les services municipaux coupaient les arbres à la tronçonneuse, puis des gens ont voulu faire entrer un piano dans la salle du cinéma, une séance pour enfants se tenait juste à ce moment-là, d’autres personnes ont ensuite vidé la salle des accessoires déposés la veille pour une projection privée organisée par Jean-Pierre Jeunet… On aurait dit un gag à la Chaplin ! Et pendant le premier plan qu’on a enfin réussi à tourner, un mec s’est mis à hurler un truc du genre : « Mais qu’est-ce que vous nous emmerdez à venir faire du cinéma à Paris ! Allez donc tourner en Alsace, personne n’y va ! »


Combien de temps a duré le tournage du « Fabuleux destin de Perrine Martin » ?

Cinq jours.


Dans quel état d’esprit avez-vous vécu ces cinq jours ?

Une fois la machine lancée, j’étais très calme, pas du tout stressé, à fond dedans. Bizarrement, c’est quand je n’ai rien à faire que je suis fatigué, bougon, et que je ne dors pas. Là, j’étais hyperactif, très sociable, je pétais la forme et je dormais comme un bébé, ce qui ne m’était pas arrivé depuis la semaine où j’ai passé le baccalauréat !


N’y a-t-il pas eu pour vous un conflit entre la « magie du cinéma » et les difficultés qu’il faut surmonter pour l’atteindre ?

Au contraire, je trouve monstrueusement stimulant de devoir se battre pour concrétiser les images qu’on a dans la tête. J’ai toujours été fasciné par les coulisses des tournages, la construction des décors, l’accumulation des détails, le réglage des lumières, la mise au point des effets spéciaux… Ça me fait même davantage rêver que les films eux-mêmes ! C’est pour ça que j’aurais tout donné pour aller sur le plateau de « Jurassic Park » ou de « La Cité des enfants perdus ». J’ai eu plus tard le culot de m’incruster à San Francisco sur le plateau de « Au-delà de nos rêves » avec Robin Williams, j’ai assisté à l’édification de la gigantesque bibliothèque d’une maison perchée sur les nuages, et j’ai trouvé ça absolument fabuleux.


Est-ce que ce n’est pas un peu étrange de débuter dans le cinéma en se reposant de A à Z sur le film de quelqu’un d’autre ?

Oui et non. Comme j’aime beaucoup la difficulté, j’ai voulu tenter d’intégrer mon monde à moi dans celui, très marqué, du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain », que tout le monde connaît ou croit connaître. Le pari, c’était de faire sentir que mes références très roses, très Disney, très Chantal Goya, n’avaient rien à voir malgré les apparences avec celles de Jean-Pierre Jeunet. Par le biais de ce clin d’œil, j’ai l’impression, presque la certitude, d’avoir davantage posé les bases de mon univers personnel que dans un scénario complètement autonome comme celui du « Cas d’O ».


Pourquoi avoir choisi « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » pour présenter ce que vous appelez votre « univers personnel » ?

Parce que je voulais raconter sous forme d’épisodes l’histoire d’une fille qui tente de reproduire en vain tout ce que font les héroïnes de cinéma. J’avais déjà écrit « Perrine au Moulin Rouge », « Perrine attaque les clones » ou encore « Le Journal de Perrine Martin », et je pensais que le film de Jeunet serait idéal pour commencer une série, dans la mesure où il disposait d’un narrateur qui présentait une fois pour toutes le personnage. L’ennui, c’est que mon projet est arrivé au moments des problèmes avec Canal +, et j’ai dû me contenter du premier chapitre.

Votre film donc une parodie de celui de Jean-Pierre Jeunet…

Je dirais plutôt un prolongement ou une interprétation. Pour moi, « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » raconte l’histoire d’une fille complètement paumée qui se fabrique une existence parallèle pour éviter d’affronter ses problèmes à elle. Et si elle fait le bien autour d’elle, ce n’est pas pour aider les autres ou parce qu’elle est généreuse, mais pour se donner une belle image d’elle-même et se faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Son principal mobile, c’est de se rendre importante et indispensable à ses propres yeux. Dans ce sens, elle est très égoïste, très orgueilleuse et, je le répète, complètement paumée. Elle est incapable de s’assumer quand elle est amoureuse, et au lieu de faire le premier pas comme tout le monde, elle invente des tas de jeux de piste pathétiques et ultra compliqués pour arriver à ses fins.

En disant ça, vous prenez le contre-pied de huit millions de spectateurs qui sont sortis des salles le cœur gonflé par la légèreté et l’optimisme du film.

Je sais bien. Cette perception très « premier degré » m’a profondément choqué, voire énervé. « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » est à mes yeux un film tout sauf gentil et totalement dépressif. Quand j’entendais des gens s’exclamer la bouche en fleur : « Amélie Poulain, c’est moi ! », franchement, je les plaignais. Et quand bien même le film aurait été « gentil », son message de bonté universelle n’aurait pas duré bien longtemps. Durant les trois mois qui ont suivi sa sortie, tout le monde s’est précipité sur les aveugles pour les aider à traverser la rue, mais ensuite, c’est l’indifférence naturelle qui a repris le dessus. C’est donc en réaction contre cette espèce de mystification collective que j’ai imaginé « Perrine Martin » : comme une critique non pas d’un film que j’adore et que je ne tourne jamais en dérision, mais de la manière dont il a été accueilli et dont il est devenu un objet de culte à la mode, totalement incompatible avec ce qui est pour moi son véritable propos.



Si on vous suit bien, votre héroïne n’a donc aucune vie, et elle n’existe qu’à travers les films qu’elle voit…

Disons qu’elle existe dans son monde et qu’elle utilise le cinéma comme prétexte pour oublier son existence minable de tous les jours.


Que serait Perrine sans le cinéma ?

Sans doute une serveuse qui s’ennuierait à mourir. Mais je suis sûr qu’elle aurait trouvé d’autres dérivatifs dans les livres ou les feuilletons télé pour compenser sa vie privée… de tout, et principalement d’hommes. En fait, c’est surtout pour ça qu’elle utilise le cinéma : dès qu’elle voit un beau mec, elle espère qu’il lui suffira de faire comme dans les films pour les séduire.

C’est à dire que ses grandes émotions, ses fantasmes, sa vision du monde et sa sexualité ne lui sont fournies que par le cinéma…

Exactement. Elle représente les secteurs du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain ».

Vous avez contacté Jean-Pierre Jeunet pour lui demander l’autorisation de détourner le titre et certaines séquences de son film ?

Je me suis renseigné : à partir du moment où des emprunts sont effectués sous l’angle de l’humour, la notion de plagiat n’entre pas en ligne de compte et il est inutile d’obtenir des autorisations. Si j’avais voulu raconter l’histoire d’une fille qui fait le bien autour d’elle, là, oui, j’aurais dû prendre des précautions. Mais à partir du moment où mon scénario parle d’une fille qui sort du « Fabuleux d’Amélie Poulain » et décide de refaire ce qu’elle a vu dans le film, le contexte n’est plus celui du film original.


Jean-Pierre Jeunet a-t-il vu « Le Fabuleux destin de Perrine Martin » ?

J’ai essayé par tous les moyens de le rencontrer pour lui dire à quel point je l’admirais : je lui ai envoyé plein de lettres, j’avais même dégotté le code de la porte de son immeuble parisien, on lui a téléphoné par l’intermédiaire de la boîte de production… Mais il a très mal réagi. Il a répondu qu’on ne cherchait qu’à obtenir son aval. Obstiné comme je suis, j’ai tenté de lui parler lors de l’avant-première officielle d’« Arrête-moi si tu peux », mais il m’a envoyé bouler en me traitant d’opportuniste qui voulait surfer sur la vague d’un succès qui avait attiré des millions de spectateurs. Ça m’a fait beaucoup de peine, mais je me suis dit que ça se passera peut-être mieux plus tard, quand j’aurai fait mes preuves et quand il aura effacé de sa mémoire l’image d’« opportuniste » qu’il a eue de moi. Je comprends sa réaction à mon égard, je ne lui en veux pas du tout, j’admire l’artiste qu’il est, mais je regrette qu’il m’ait assimilé à tous ceux qui, du « Fabuleux destin de… » sur France 3 aux « Fabuleux jardins de la Mairie de Paris », ont effectivement profité de son film en toute connaissance de cause. J’espère lui prouver un jour que je suis autre chose que ce qu’il pense.

Si vous aviez une seule chose à lui demander, qu’est-ce que ce serait ?

Savoir comment il dirige ses comédiens, comment il arrive à les rendre meilleurs chez lui que chez les autres. Ça me fascine.


Question délicate : votre film aurait-il pu s’intituler « Le Fabuleux destin d’Olivier Ciappa » ?

Ouh là ! Je n’y avait pas pensé. Bon, allons-y franco : oui. Dans une certaine mesure, heureusement plus faible, Perrine Martin, c’est un peu moi. Par exemple, quand je suis dans la rue, je me crois souvent dans un film. Et j’ai aussi parfois tendance à transformer la réalité, quitte à me mentir à moi-même.


Pourquoi la réalité n’est-elle pas votre copine ?

Parce que j’ai grandi dans un contexte familial extrêmement violent, avec une mère schizophrène et un père constamment bourré, ce qui débouchait sur des situations vraiment très difficiles. Ma grande sœur s’est protégée en quittant la maison le jour de ses dix huit ans et en se construisant une famille de substitution, et moi, je me suis complètement retranché dans le cinéma. Le paradoxe, c’est que j’ai vécu toutes ces choses relativement difficiles dans un cadre paradisiaque, puisque nous habitions en Polynésie. D’un côté, c’était donc l’enfer chez moi, mais de l’autre, c’était la splendeur naturelle de Tahiti. Je savais par conséquent qu’une vie meilleure était possible, et pour en avoir le cœur net, je n’ai rien trouvé de mieux, de plus sécurisant, de plus réconfortant, que les films de Walt Disney où tout le monde était beau et où les familles finissaient toujours par se recomposer. Plus tard, je me suis ouvert sur un autre cinéma, celui qu’on qualifie en général d’« évasion », où je retrouve aussi bien la beauté pure que des sensations plus fortes comme dans « Jurassic Park », « Speed » ou « True Lies », c’est-à-dire des films avec des héros, des gens qui se battent, qui vivent des choses incroyables… Bref, qui me sortent de ma réalité.


Que seriez-vous sans le cinéma ?

Rien. Quand j’étais petit, j’étais complètement autiste, et c’est le Cinéma qui m’a aidé à sortir de moi-même. Grâce à lui, j’ai pu trouver la force de me battre et de tenir. Dans un sens, il m’a sauvé.


Cette dette vis-à-vis du cinéma ne risque-t-elle pas de vous faire manquer les très belles choses que peut offrir la réalité ?

Croyez-moi, la réalité de la vie, j’ai les deux pieds dedans ! Faire des films, gérer mon héritage familial, devoir se montrer plus adulte que mes parents, trouver de l’argent pour manger… C’est un combat de tous les jours. De ce côté là, je suis mieux servi que beaucoup d’autres, et j’ai le sentiment d’avoir mûri en vitesse accélérée. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si on me donne souvent trente ans alors que je n’en ai que vingt-quatre. Dans ce contexte, j’arrive heureusement à voir les beautés de la réalité, mais c’est un fait : jusqu’à présent, j’ai connu davantage de difficultés que de bonheurs.

Sous ses dehors roses et un peu kitsch, vous nous avez fait comprendre que « Le Fabuleux Destin de Perrine Martin » était en fait un film assez violent dans sa démarche puisqu’il parle de désespoir. Votre deuxième court métrage, « Le Cas d’O », se présente comme un thriller horrifique alors qu’il raconte lui aussi une histoire qui n’a rien à voir avec son apparence…

C’est vrai. Les paradoxes et les oppositions constituent une des bases principales de mon cinéma. Le « Cas d’O » ressemble à un court métrage de genre , un thriller derrière lequel se dissimule une histoire d’amour en particulier, et une critique de ce qu’on appelle « les films homos » en général.

Commençons par l’histoire d’amour, qui nous oblige à révéler la « chute » de votre film. Il s’agit d’un garçon qui met en œuvre un stratagème incroyable pour reconquérir son ancien amant, un peu comme Amélie Poulain chez Jean-Pierre Jeunet, qui organise un jeu de piste que vous avez qualifié de « débile » afin de séduire le beau Nino qu’elle aime en secret…

Ah !… Euh…Je n’avais pas fait le rapprochement, mais je suis d’accord à 100%.

En fonction de vos valeurs, « Le Cas d’O » raconte-t-il une belle histoire d’amour ?

Dans la mesure où il montre jusqu’où on peut aller pour récupérer quelqu’un, oui.

En se projetant dans l’avenir des personnages, pensez-vous qu’Orient, celui qui s’est fait manipuler, découvrira un jour la vérité ?

Oui, et il sera très heureux, car il aura compris à quel point Michaël tenait à lui.

Quelle place occupe votre « univers » dans « Le Cas d’O » ?

J’en ai projeté des éléments dans le personnage d’Orient. Sa chambre truffée de références à Walt Disney est la transposition de la mienne si elle était plus grande, il porte au dos la réplique de mon propre tatouage que j’ai au bras, mais ça ne va pas plus loin.

Cette manipulation amoureuse pourrait-elle être orchestrée au sein d’un couple homme-femme ?

Bien sûr !


Alors pourquoi avoir choisi deux garçons pour héros ?

Parce que le public a trop l’habitude des comportements mixtes au cinéma. Dès que les gens voient dans un film un homme et une femme qui sont devenus amis après avoir formé un couple, ils savent à tous les coups comment ça va se terminer. Alors qu’avec deux gays, c’est beaucoup plus rare, plus imprévu. Du point de vue du suspense et du scénario, c’était nettement plus intéressant.

Où intervient la critique des « films homos » que vous avez mentionnée tout à l’heure ?

Il faut savoir qu’Antiprod, la société qui me produit depuis mes débuts, est spécialisée dans le cinéma et les courts métrages gays. C’est à dire que la sexualité des personnages est au premier plan. Moi, je n’aime pas trop cette approche communautaire car on finit parfois par oublier qu’il s’agit d’abord de cinéma. Est-ce qu’on a déjà entendu dire que « Les Aventuriers de l’arche perdue » était un film d’aventures hétérosexuel ? non. C’est du cinéma, point barre. Alors que chez Antiprod, la sexualité des personnages constitue la base d’absolument tous les scénarios, que se soit sur le thème « l’homosexualité, ce douloureux problème », « je suis amoureux de mon meilleur ami, mais il est hétéro et je finis par me suicider », « j’ai le sida » ou encore « il faut que je fasse mon coming out »… Moi, ça m’horripile ! On est au 21ème siècle, l’homosexualité est mille fois mieux intégrée qu’avant, et je trouve anachronique d’en faire l’unique sujet de tout un courant cinématographique, qui plus est tellement truffé de références qu’il s’adresse en priorité à un public lui-même homo. Ça la réduit à un phénomène, et ça la replonge dans la marginalité de la façon la plus régressive qui soit.Cependant, c’est un avis très personnel et je ne prétend pas avoir forcément raison.

En quoi votre approche est-elle différente ?

Je dis dès le premier plan que les personnages sont homos, et ensuite, on s’en fiche complètement pour ne s’intéresser qu’à l’histoire. Ce que j’ai voulu, c’est rendre ça le plus banal possible. De cette façon, tout le monde peut s’intéresser à eux, et pas seulement les spectateurs gays.

Vous n’aimez aucun film qui ait l’homosexualité pour sujet ?

Si, bien sûr! J’adore « Philadelphia » et « Juste une Question d’Amour », mais je n’ai pratiquement jamais vu de personnages gays qui soient autre chose que l’homo de service comme Rupert Everett dans « Le Mariage de mon Meilleur Ami », ou encore celui par qui arrivent tous les malheurs du monde. Les rares films où j’ai vu des gays dont la sexualité n’est jamais utilisée à des fins particulières sont « La Fiancée de Chucky » et « Le Fils préféré ». Dernièrement, j’ai cru que le jeune homo de « 7 ans de mariage » échapperait à la malédiction, mais le dernier plan du film nous le montre seul à crever dans sa chambre de bonne pourrie.

Dans ces conditions, pourquoi restez-vous chez eux, et pourquoi vous acceptent-ils ?

Ce qui nous lie, c’est le travail. On a d’excellentes relations de boulot, il n’y a rien d’affectif dans nos rapports et, chose essentielle, aucune espèce d’ambiguïté ne vient parasiter l’ambiance. Je sais que personne à Antiprod ne pose un regard de convoitise sexuelle sur moi et qu’on m’apprécie pour le boulot que je fourni, et exclusivement pour ça. Dans le milieu du show-biz et du cinéma, je vous jure que c’est exceptionnel. En fait, mon vrai interlocuteur chez Antiprod, c'est Véronique Lamarche, la directrice de production. C'est avec elle que je communique toute la journée. Et j'ai l'impression que notre collaboration évolue de plus en plus. En un an à Antiprod, nous n'avons eu qu'une seule engueulade et je crois qu'on en est sortis tous les deux grandis. Le but, c'est que chacun puisse obtenir ce qu'il veut, sans piétiner sur le travail de l'autre et bizarrement, ça donne une collaboration souvent très étroite. Si l'un de nous deux merde, c'est les deux qui coulent. Donc, quels que soit la politique d'Antiprod, ce qui me lie le plus à eux, je crois que c'est Véronique. Et puis Véro et Patrick Maurin, se sont les spécialistes du planning. Quand ils disent que quelque chose va être fait à telle date, vous pouvez être sur que ce sera toujours fait au jour dit. Jamais de paroles ou de projets en l'air. Tout ce qu'ils annoncent, ils le font. Avouez que dans des conditions pareilles, ça ne donne pas vraiment envie d'aller voir ailleurs ?

Antiprod ne vous a jamais incité à accentuer l’aspect érotique du film ?

Avant le tournage, si, un peu. Patrick Maurin, le responsable éditorial, me tannait pour que j’ajoute des scènes de nudité, notamment lorsque le héros prend sa douche. C’est une des figures imposées du cinéma homo tel que je le déteste : un mec se lave, et on le voit forcément à poil. Moi, j’ai voulu jouer avec ce cliché en montrant bien la chute de ses vêtements au fur et à mesure qu’il les enlève, mais en coupant net au moment où la caméra remonte sur ses jambes, pile avant l’apparition des fesses que tout le monde attend. Pour faire une surprise à Patrick, on a tourné ce fameux plan de fesses afin qu’il l’utiliser dans le bêtisier. Et sur le tournage, nous avions qualifié ce plan de « plan surprise Patrick, spécial Bêtisier » avant même qu’il soit tourné. Ceci dit, en découvrant le premier montage, Patrick a finalement compris mes intentions, et c’est lui qui m’a suggéré d’enlever toutes les allusions qui faisaient comprendre que les personnages étaient des ex. Il a pensé que ce serait plus intéressant d’instaurer un doute dans la tête du public, et j’ai trouvé ça très intelligent de sa part.


Vous ne lui avez donc fait aucune concession ?

Si, bien sur. Travailler avec un producteur, c’est un jeu de négociations. Il me cède certaines choses comme le son numérique DTS et moi, d’autres. Par exemple, il a tenu à ce que je conserve le cri de terreur que pousse le personnage de la concierge dans la séquence de la cave. Je n’étais pas d’accord pour plusieurs raisons : je trouvais l’actrice mauvaise – d’ailleurs, c’était la vraie concierge de l’immeuble d’Antiprod -, son cri saturait à l’écoute, et il durait tellement longtemps qu’il finissait par susciter le rire au lieu de la peur. Pour ce plan, je me suis incliné. Mais bon, là, c’est mon interview et j’ai le beau rôle. S’il était avec nous, il vous ferait le liste des choses qu’il m’a cédé, et je peux vous dire qu’elle est beaucoup plus longue.

Le court métrage est-il pour vous une discipline à part entière, ou bien une simple carte de visite pour accéder à la catégorie « reine » qu’est le long ?

Je n’ai pas fait d’école de technique, et je suis un peu obligé de passer par-là pour me faire les dents. Quant à l’aspect « carte de visite », que ce soit grâce à eux, sans eux ou malgré eux, la question ne se pose pas : je ferai du cinéma.



COPYRIGHT Stéphane Roger/ Revolusound. Février 2004
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